Un modèle de réflexion pour aborder les enjeux du numérique
Pour aborder plus largement cette entrée du PER sur l'informatique et la société, nous vous proposons un questionnement centré sur un modèle de réflexion dont la réalisation a été coordonnée par le centre LEARN (EPFL), en collaboration avec l’Université de Lausanne, le DFJC/DEF du canton de Vaud et le sociologue Dominique Boullier. Vous pouvez le retrouver sur le site de l'EPFL.
Exemple d'application du modèle
Pour mieux comprendre comment utiliser ce modèle d'analyse, nous allons l'appliquer au concept de robotique.
Modularité :
- Comment ça fonctionne ?
- Qu'apporte la science informatique ?
- Que permet-elle d'amplifier ?
- Que permet-elle de réduire ?
La modularité consiste à percevoir un objet ou un concept comme étant décomposable, recomposable, combinable.
- Comment ça fonctionne ? Les robots sont équipés de capteurs permettant d'interagir avec leur environnement, d'actionneurs pour agir, d'une carte mère avec port USB pour les recharger et les connecter, et d'une mémoire pour enregistrer des programmes.
- Qu'apporte la science informatique ? La science informatique explique une manière de résoudre des problèmes spécifiques et est liée à ce principe de modularité, par exemple en les décortiquant en sous-problèmes. Par exemple, lors de la conception d'un robot aspirateur, les concepteurs doivent résoudre plusieurs sous-problèmes: comment faire déplacer mon robot, comment le faire interagir avec l'utilisateur, comment lui faire planifier une tâche, etc.
- Que permet-elle d'amplifier ? Elle permet une amplification par exemple, de la productivité au sein d'une industrie qui verra son rendement augmenter grâce à l'utilisation de robots plus rapides que l'être humain dans certaines tâches.
- Que permet-elle de réduire ? Elle réduira toutefois peut-être la capacité des industries à se passer de la technologie, au risque d'avoir une production peut-être plus standardisée et moins artisanale, ou alors dépendante de certains modèles de robots. Elle peut aussi réduire le nombre d'emplois dans un métier spécifique sur le marché du travail.

Délégation :
- Doit-on déléguer (un travail spécifique des humains aux machines) ?
- À quel outil/machine déléguer ?
- Quelle part déléguer ?
- Quelle plus-value à la délégation ?
La délégation va s'intéresser aux tâches attribuées aux robots mais aussi jusqu'à quel point les déléguer. Il s'agit de tâches habituellement effectuées par l'être humain mais qui, grâce à la technologie, sont réalisées de manière augmentée. Les robots peuvent s’avérer utiles, voire nécessaires comme pour porter de lourdes charges, effectuer des tâches répétitives, assister un chirurgien grâce à leurs caméras. Mais si les robots deviennent plus performants que nous dans presque tous les domaines, serons-nous prêts à leur laisser notre travail ?
Dans le contexte pédagogique, le robot, loin de remplacer l’enseignant, apporte une vraie plus-value pédagogique. En effet, la réussite d'un parcours ou d'une programmation est validée par le comportement du robot. Ainsi, l'enseignant délègue son rôle d'évaluateur au robot et à sa rétroaction. Cela permet également à l'élève d'avoir un retour immédiat sans être constamment dans l'attente du jugement professionnel de l'enseignant.
Environnement socio-technique :
Dans quel contexte se situe-t-on ? (historique, géographie, culturel, économique, politique, social, etc.)
Un objet ou un sujet est toujours lié à un contexte spécifique. La robotique, par exemple, émerge dans divers contextes entremêlés. Historiquement, elle tire ses origines des automates, machines produisant une même action mécanique. Contrairement au robot, les automates n'interagissent pas avec leur environnement par le biais de senseurs et capteurs.
Depuis l'Antiquité, les humains ont imaginé des entités destinées à leur obéir, comme le montre le mythe de Pygmalion. L'anthropomorphisme, qui est l'attribution de traits humains à des objets, animaux ou dieux, est ancré dans notre imaginaire collectif, ce qui explique pourquoi nous imaginons souvent les robots avec des caractéristiques humaines. Cependant, la plupart des robots, comme ceux de la robotique automobile, n'ont pas cette apparence.
Par exemple, dans certains EMS, des robots sont à présent utilisés pour réaliser des animations auprès des résidents. Plusieurs éléments contextuels rentrent en jeu : le fait que l'on soit technologiquement capable de réaliser ce type de robot, que ce robot soit introduit en Suisse où il existe des EMS, qu'il soit socialement accepté, que certaines tâches puissent être déléguées tout en ayant un soignant à proximité, que politiquement, cette procédure soit légale, que l'établissement soit financé pour obtenir ce type de robot, etc.
Responsabilité :
- Ce qui est techniquement possible est-il souhaitable ?
- Ce qui est techniquement légal est-il éthique ?
L'éthique est constamment questionnée lors de la création et l'utilisation de certains robots. L'essor de la robotique a permis de créer de nouvelles perspectives dans l'industrie, tout en éradiquant certains métiers.
Autre exemple : il est actuellement possible de concevoir des drones destinés à des fins militaires, dirigés par une intelligence artificielle. Ainsi, ce n'est plus l'être humain qui fait des choix en amont lors d'une guerre, mais le robot doté de cette intelligence. Cette évolution dans les guerres actuelles questionne notre éthique concernant la délégation de la mise à mort d'une cible militaire par un robot. L'éthique étant variable d'un pays à un autre, l'utilisation de la robotique à des fins militaires varie aussi.
Pluralisme :
Comment ces concepts sont-ils imbriqués entre eux ?
Toutes ces questions sont amenées à être croisées entre elles dans un contexte de pluralité. Ce concept est par ailleurs scindé d'une part par la compréhension d'un objet ou concept technique et du contexte (je comprends sa modularité et son contexte socio-technique) et d'autre part par l'engagement que l'on investit (en terme de délégation et de responsabilité).
Exemple d'application du modèle d'analyse sur un fait de société:
Reprenons le modèle de réflexion présenté en distinguant, à la suite de la vidéo, les concepts de "modularité", "délégation", "environnement socio-technique", "responsabilité" et "pluralisme".
Modularité : le robot "Pepper" muni de différents capteurs interagit avec des résidents d'un EMS. Équipé d'une tablette dans laquelle certains programmes de divertissements ont été installés, le robot permet de proposer différentes animations.
Délégation : nous observons des résidents d'EMS affirmant s'amuser avec, bien qu'il ne remplace pas totalement une personne. La part relationnelle n'est pas déléguée au robot puisqu'il y a toujours une aide-soignante à proximité.
Environnement socio-technique : plusieurs éléments contextuels rentrent en jeu : le fait que l'on soit technologiquement capable de réaliser ce type de robot, que ce robot soit introduit en Suisse où il existe des EMS, qu'il soit socialement accepté que certaines tâche puissent lui être déléguées, tout en ayant un soignant à proximité, que politiquement, cette procédure soit légale, que l'établissement soit financé pour obtenir ce type de robot, etc.
Responsabilité : bien que techniquement réalisable, le choix a été fait de ne pas remplacer totalement l'être humain, comme le mentionne la directrice de l'établissement. Son but n'est donc pas de remplacer les contacts humains par une interaction totale avec des robots, mais de libérer du temps aux soignants lors de tâches simples (comme apporter une boisson) pour qu'ils puissent prioritairement s'occuper des interactions sociales.
On peut se réjouir de l'utilisation de robots pour des tâches simples et peu engageantes pour les employés, mais on peut aussi faire la critique d'une logique de profits, avec des équipes souvent sous-dotées, notamment dans la santé.
En résumé
Ce modèle explore deux aspects principaux : la compréhension des concepts techniques comme la modularité et du contexte sociotechnique, et l'engagement impliquant la délégation à des machines ou programmes avec une réflexion sur les conséquences éthiques, individuelles et collectives. Au cœur du modèle se trouve le pluralisme, soulignant la diversité des perspectives possibles. Il encourage une exploration critique et évite les jugements préconçus en considérant ces enjeux dans un cadre ouvert et pluriel.